Czeslaw Milosz, (Pologne, 1911-2004) |
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Biographie |
Czesław Miłosz (1911-2004) - poète, romancier, essayiste et traducteur. Lauréat du prix Nobel de littérature en 1980. Le thème de l'exil, trait caractéristique de la biographie de Miłosz - polonais né en Lituanie, expatrié en France puis en Californie - constitue l'un des fils directeurs de son œuvre. La jeunesse de Czesław Miłosz témoigne des liens historiques existant entre la Pologne et la Lituanie. Né en 1911 en Lituanie dans une famille issue de la noblesse polonaise, il étudie le droit à l'université de Vilnius. Très tôt il se tourne vers la poésie et fonde avec d'autres poètes le groupe littéraire Żagary avec une revue d'avant-garde du même nom. Il vécut la Seconde Guerre mondiale et l’occupation allemande à Varsovie où il mit ses talents littéraires au service de la résistance antinazie. Le mémorial de Yad Vashem en Israël lui a attribué la qualité de Juste parmi les nations. Le réel le rattrape et son écriture s’éloigne du formalisme des courants artistiques qui l’avaient jusque-là séduit. Ses œuvres de cette période seront publies après la guerre dans le volume Le salut. Après la guerre, Miłosz travaille jusqu'en 1950 comme attaché culturel des ambassades de Pologne à Paris et à New York. À cette époque, s’il est encore attaché à ses idéaux socialistes, il prend peu à peu ses distances avec un régime dont il voit avec horreur se durcir les traits staliniens. En 1951 il rompt avec le régime de Varsovie et demande l'asile politique en France. Il s’installe à Paris où il se consacrera désormais à l’écriture. Son essai, La pensée captive, paru en 1953, analyse subtile de l’attrait funeste de l’homme contemporain, et en particulier des intellectuels, pour le totalitarisme, montre par ailleurs l’étendue de sa désillusion. En 1961 Miłosz s’installe aux États-Unis où il dirige la chaire de langues et littératures slaves à l'université de Berkeley (Californie) et reçoit plus tard la nationalité américaine. En 1980 Czesław Miłosz devient lauréat du Prix Nobel de littérature. La montée de popularité de „Solidarność” en Pologne et la déclaration de l’état de siège par le général Jaruzelski en 1981 ont fait de Miłosz une sorte de mythe d’écrivain profondément polonais, combattant pour la liberté, ennemie du communisme. La Nation polonaise lui a conféré une notoriété particulière. Il est devenu le barde national malgré lui, mis sur le même piédestal que les héros tels que Lech Walesa et le pape Jean-Paul II. Après le retour de la Pologne à la démocratie Miłosz effectue progressivement des séjours de plus en plus fréquents et longs à Cracovie où il finit par s'installer définitivement et où il meure en 2004 à l'âge de 93 ans. |
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Poème |
CHANSON DE LA FIN DU MONDE Le jour de la fin du monde, L'abeille tourne au-dessus de la capucine, Le pécheur répare le filet luisant. Les joyeux dauphins bondissent dans la mer, Les jeunes moineaux s'accrochent aux goutières, Et le serpent a la peau dorée, comme avant. Le jour de la fin du monde, Les femmes vont par les champs sous des ombrelles, L'ivrogne s'endort au bord du gazon, Les marchands de légumes dans la rue appellent, Et le bateau à voile jaune s'approche de l'île ; Dans l'air s'allonge le son du violon Qui fait s'ouvrir la nuit étoilée. Et ceux qui s'attendaient au tonnerre et aux éclairs Sont déçus. Et ceux qui s'attendaient aux signes et aux trompettes des Anges Ne croient pas que le J o u r soit venu. Tant que le soleil et la lune sont là-haut, Tant que le bourdon hante la rose, Tant que naissent des enfants roses, Personne ne croit que le J o u r soit venu. Seul un petit vieux, qui serait prophète, Mais pris par autre chose il ne l'est pas, En liant ses tomates répète : D'autre fin du monde, il n'y en aura pas, D'autre fin du monde, il n'y en aura pas. AU POLITICIEN Qui es-tu l'homme — assassin ou héros Toi, que la nuit a élevé pour l'action. Entre tes mains le sort du vieillard et de l'enfant Et ton visage dissimulé Tel un golem face au monde Réduiras-tu en cendres la ville ou la patrie ? Attends ! Tremble dans ton coeur ! Ne t'en lave pas les mains ! Ne cède pas le verdict à l'histoire non accomplie ! À toi le glaive et à toi la balance. Par dessus le soucis des hommes, l'espoir et la colère Tu sauves ou tu perds La république. Tu es bon et parfois parmi les tiens Tu caresses la tête claire des enfants Mais si un million de familles te maudissent ? Gare à toi ! Que restera-t-il de tes bonnes journées ? Que restera-t-il de tes discours vigoureux ? L'obscurité arrive. Dans ta main humaine, o combien humaine, Des villes bruyantes, et des champs, des mines et des navires. Regarde. Ta ligne de vie passera par ici. Trois fois béni Trois fois maudit Souverain du bien Ou souverain du mal. LES MOTS Comme si bredouilles dans l'air, déplacés à la pelle, mesurés par tons, des mots il restait quelque chose. Mais le son anéantit le son et au milieu du vacarme se fait le silence. Relevons qu'il y avait en lui une sorte d'indifférence. Il aimait boire et causer, mais quand les femmes savantes lui reprochaient de ne rien envoyer aux éditeurs, il riait. Il préférait ces parages, car la violence primordiale se suffit à elle-même et l'aboiement des phoques est ce qu'il est. La vie administre la mort, le flux se change en écume. Autant d'illusions de moins. C'était comme dans un pays lointain, très lointain de son enfance, quand il ignorait tout des types qui voulaient sauver leur moi toutes les nuits, à la chandelle, mot par mot. LE TOMBEAU DE LA MÈRE I. Un petit globe argenté se déplace et les planètes Tournent sur une piste électronique Autour du soleil de l'atome. Mais pour nous Toujours un seul point sur la terre Revient dans un rêve insensé Lorsque les mannequins au cou de bois, Sans tête, mènent la danse, ou que les chiens Sautillent sur leurs pattes de bois sculpté. Entre la mémoire qui inquiète Car elle dit : le passé est invincible, Et l'oubli qui est une offense À nos conceptions de la bonté puissante, Nous vivons chancelants, tandis que précipitamment Comme des mouches dans la lumière de lampes perpétuelles Un électron en croise un autre dans le vide. II. O qu'elle gronde en ces nuits d'automne La mer à l'embouchure de la Vistule. Le tonnerre Emplit la plaine étale sous les rangées de saules Et le vent du nord peigne les herbes sèches. Dans les broussailles halète et tombe par morceaux Le verre des fenêtres brisées d'une église morte. Lavés par les gouttes lourdes de la pluie Des boucliers longs et massifs Renvoient aux nuages des signes effacés Tout près du lieu où s'unissent La terre et les restes de celle qui m'a mis au monde. La solitude éternelle, le cri des oiseaux migrateurs, Et le souffle de la mer, sourd et incessant. Copyright Collectif Liberté, 1981 |
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